Une équipe de recherche du CEMES a récemment mis en évidence pour la première fois de manière directe l'évolution des propriétés magnétiques de l'alliage d'Heusler Co2MnSi en fonction du type et du taux de désordre atomique. Pour cela, une analyse magnétique et structurale multi-échelle a été menée sur des échantillons dont la structure atomique a été modifiée par irradiation ionique, puis comparée à des calculs de la structure électronique et du coefficient de relaxation en fonction du type de désordre.
Dans sa phase ordonnée L21, il est prédit que l'alliage d'Heusler Co2MnSi présente une polarisation en spin de 100%, avec une forte aimantation de l'ordre de 1.3 T, ce qui doit induire un très faible coefficient de relaxation dynamique α (de l'ordre de 5 x 10-4). De plus, sa haute température de Curie autour de 900K lui confère une grande stabilité des propriétés magnétiques à température ambiante. Ceci en fait l'un des matériaux les plus prometteurs pour des applications en spintronique, en particulier pour des mémoires à transfert de spin qui nécessitent à la fois une forte polarisation en spin et un faible coefficient α. Cependant, ces propriétés remarquables sont très peu souvent observées expérimentalement. L'une des raisons généralement invoquées pour expliquer ce désaccord concerne la présence défauts structurels dans le matériau.
Dans cette étude, les chercheurs du CEMES ont utilisé l'irradiation ionique par des ions légers He+ pour modifier la structure atomique d'un film ultramince de Co2MnSi réalisé par pulvérisation cathodique. Pour déterminer les différents types de désordre et leurs taux, ils ont réalisé une étude macroscopique par diffraction X en conditions normale et anomale, ainsi qu'une analyse quantitative de la structure atomique par microscopie électronique en mode STEM-HAADF (Figure 1 gauche). En partant d'un matériau de référence présentant une phase majoritaire (75%) ordonnée L21 et une phase minoritaire (25%) de type B2, ils ont montré que l'irradiation ionique favorise d'une part le désordre entres site Mn-Si, faisant croitre la phase B2, et d'autre part induit de manière aléatoire des échanges entres atomes de Co et Mn, donc un désordre de type D03, dans la matrice initiale L21 [1].
Les propriétés magnétiques de l'alliage en fonction de la fluence (nbr d'ions/cm²) ont été étudiées par résonance ferromagnétique. Grâce à cette technique, à la fois les paramètres statiques (aimantation, anisotropie cristalline, constante d'échange) et dynamiques (coefficient d'amortissement α et contributions extrinsèques) ont pu être mesurés en fonction du taux de désordre. Ceux-ci ont été comparés à des calculs de structure électronique et de coefficient α avec le code SPRKKR qui prend notamment en compte les transitions de spins intra et inter bande dans le calcul de α. Bien que les valeurs observées expérimentalement soient différentes de celles calculées en raison de la contribution des processus à deux magnons liés à l'inhomogénéité structurale du matériau, la tendance générale à l'augmentation de α avec le désordre est retrouvée dans le diagramme de phase calculé (figure 1). Cependant dans le cas d'un désordre de type D03, la diminution de l'aimantation et l'augmentation de α sont plus importants expérimentalement que ceux obtenus par calculs [2,3]. Ainsi, si un désordre entre les sites de Mn et Si ne semble pas modifier les propriétés intrinsèques du matériau par rapport à sa phase ordonnée, et ce en accord avec la théorie, ils ont montré que le désordre entre sites de Co et Mn détruit les propriétés magnétiques plus rapidement qu'habituellement prévu par les calculs ab-initio. D'un point de vue technologique ces résultats démontrent que la phase partiellement désordonné B2, plus facile à croitre qu'une phase parfaitement L21, doit peut-être être privilégiée, et ce d'autant plus que cette phase peut être stabilisée par irradiation ionique. L'ensemble de ces résultats a été publié dans une série d'articles [1,2,3].
Nicolas Biziere – chercheur CNRS – CEMES-CNRS
Gerard BenAssayag – chercheur CNRS – CEMES-CNRS
Lionel Calmels – Professeur Université Paul Sabatier – CEMES-CNRS